Bibliographie de Jean-Francois Legrain
 


 

Le soulèvement comme violence : armes, cibles et structures.

Dès le début du soulèvement, avant même la création de ses structures centrales de CNU, une sorte d'accord tacite, commun à l'ensemble des forces de l'échiquier politique palestinien, a fait des pierres l'arme symbolique de l'intifada. A aucun moment par la suite, le CNU comme Hamâs n'ont, à proprement parler, formalisé dans leurs tracts de réflexion sur cette abstention volontaire dans l'utilisation des armes à feu ou sur la qualité des pertes qu'il convenait d'infliger à l'ennemi. La présence récurrente dans les Appels du CNU de l'adresse : "Masses du peuple des pierres et des molotov!" donne une indication sur les armes privilégiées par les partisans de l'OLP. CNU04B (Fath) est l'un des rares Appels à en fournir une liste détaillée, mêlant les armes "physiques" et les armes politiques : "La pierre, les molotov, les barricades, les pneus qui brûlent, le bâton, les filets, les frondes avec les billes et les boulons de métal, les éclats de pierres, les plaques de tôles, les flèches, le lance-pierres, les portraits du frère leader, les drapeaux, les affiches, les communiqués et leur distribution, la conscientisation nationale, la mobilisation et l'afflux de masse dans le centre des villes et des villages, le couteau, les rasoirs, les scalpels, les ballots enflammés etc., et bien d'autres formes de combat encore (...)" ([78]). Globalement, seules les armes à feu sont exclues de cette liste. D'autres Appels, incidemment, inviteront à utiliser telle ou telle arme comme CNU11 qui appelle à "faire pleuvoir les pierres, les molotov et les barres de fer sur les soldats de l'occupation et les meutes de lâches colons" ou CNU16A (Fath) qui appelle à l'intensification du soulèvement : "Davantage encore d'arcs, de flèches et d'aiguilles empoisonnées, de tous les moyens de notre combat populaire". L'utilisation de certaines "armes", semble-t-il, n'a pas fait toujours l'objet d'un consensus et si CNU29C (version FPLP), par exemple, appelle à intensifier "la guerre des bouteilles et des acides brûlants, des couteaux, des pierres et de tous les moyens possibles de combat", Al-Hadaf censure la mention des acides auxquels, par ailleurs, aucun autre tract -ni du CNU ni de Hamâs- n'a jamais fait allusion.

Les pressions de l'Intérieur pour un passage du soulèvement à un stade armé, peu nombreuses, ne sont pas pour autant absentes des Appels du CNU : "Notre peuple en révolution dans la patrie occupée est tout à fait déterminé à suivre les traces de notre fusil porté au Liban pour la réalisation de l'intégralité de ses objectifs", affirme CNU06A (FDLP/FPLP sous influence de Labadî) ; CNU06B et CNU06C (Fath/PCP), cependant, reviennent sur cette annonce d'un éventuel passage à la lutte armée dont l'ordre, d'ailleurs, n'a jamais été donné bien que CNU10A (Fath ou proche du Fath) considère une telle lutte comme "légitime" dans "la résistance aux occupants envahisseurs" et qu'il fasse figurer en exergue : "Nous faisons le serment que la révolution populaire et armée se poursuivra jusqu'à l'établissement de l'Etat palestinien indépendant!" Sans établir explicitement de lien avec le soulèvement, d'autres Appels soulignent la complémentarité entre le combat politique et la lutte armée (CNU16A du Fath, CNU17B du FPLP) sans que l'on sache très bien si leurs auteurs considèrent que cette lutte armée doit être limitée stratégiquement à l'extérieur des Territoires occupés, sur les frontières avec l'Etat hébreu, ou devra, un jour plus ou moins proche, s'effectuer aussi à l'Intérieur (voir supra paragraphe sur la lutte armée). Yasser Arafat, pour sa part, a déclaré, à plusieurs reprises, qu'il était hors de question de faire passer le soulèvement à un stade de lutte armée, justifiant cette décision par la volonté d'épargner à une population déjà écrasée par la répression une répression encore plus sanglante de la part de l'armée israélienne ([79]) ; toute menace n'est cependant pas absente et le 23 mars, par exemple, il déclare, à Sanaa, que "l'OLP est déterminée à accentuer la lutte par tous les moyens dans les Territoires occupés".

Bien qu'appelant à la destruction d'Israël, Hamâs, pas plus que l'OLP, n'a, à aucun moment, ordonné à ses partisans le passage de l'intifada au stade de lutte armée, mais, comme le CNU, multiplie les appels à l'affrontement et au défi. Comme nous l'avons vu, cette décision de faire passer le discours anti-israélien traditionnel des Frères musulmans à une pratique de résistance active a constitué une rupture radicale avec dix années de quiétisme et n'a pas été prise soudainement. Dans ses premiers communiqués, en effet, alors même que les Frères musulmans ne l'avaient pas encore adopté officiellement comme leur "bras puissant", le MRI se contente de faire de grandes déclarations politiques et d'encourager à l'endurance ; ses menaces demeurent alors dans l'ordre des généralités, sous le mode : "la violence [sous entendu "des Juifs"] n'engendrera que la violence". Avec HMS05, en revanche, après l'annonce de l'adoption du MRI par les Frères musulmans, des consignes directes de violence anti-israéliennes sont données, accompagnées d'une liste des armes dont l'utilisation est préconisée pour le succès de l'intifada : "Armez-vous de pierres, de bâtons et de lance-pierres, de haches et de couteaux". Si HMS07 confirme ensuite la tendance générale affichée par le soulèvement : "Que la pierre demeure notre arme puissante face aux occupants", cette préférence n'empêche pas, cependant, l'utilisation d'autres armes et HMS21B s'adresse ainsi à "vous qui brandissez les pierres, le Coran et les couteaux (...)". Contrairement, cependant, au CNU qui mentionne très régulièrement le molotov, Hamâs se contente d'appeler à l'utilisation des seules armes blanches ; dans la pratique, pourtant, le MRI revendiquera des jets de molotov à plusieurs reprises à travers ses organes officieux comme Filastîn al-Muslima.

Ce refus de l'utilisation des armes à feu commun au CNU et à Hamâs a été entériné par les Brigades du Jihad islamique alors même que, tout au long de 1986 et de 1987, c'était leurs opérations de guérilla qui leur avaient apporté le soutien unanime de la population et qui avaient constitué l'élément moteur du processus qui avait donné naissance à l'intifada. Dans un tract daté du 29/01/88, en effet, les Brigades du Jihad donnent une série de consignes sur le combat contre l'ennemi sans laisser place au doute sur leur volonté farouche de lutter contre Israël (constitution de "cellules combattantes et agissantes dans tous les domaines", élimination des collaborateurs, incendie des véhicules de l'ennemi, arrêt de ses mouvements et destruction de ses intérêts économiques, suspension du paiement des impôts et mise en garde contre les "opportunistes", maires nommés et présidents de chambre de commerce), mais sans appeler à tuer des Israéliens, civils ou militaires, seuls les collaborateurs étant menacés de mort. Cette stratégie des Brigades se trouve explicitement formulée dans un communiqué à la presse fait le 03/02/88 dans lequel le Mouvement du Jihad islamique dénonce les informations parues dans le Sunday Times et l'Independent selon lesquelles il "pousse à l'organisation d'opérations militaires comme contribution au soulèvement", considérant que "les fonctions dont nous sommes investis de même que la latitude laissée à nos masses résistantes, endurantes et combattantes, contraindront nécessairement l'ennemi à retirer son appareil militaire par le seul effet du sang des martyrs, des 'Dieu seul est grand' et des pierres". Cette renonciation, et le Jihad tient à le souligner, est le fruit d'un choix délibéré, le mouvement rappelant qu'il est capable de mener la lutte armée lorsqu'il le juge nécessaire ([80]).

Si l'usage des armes à feu ne figure dans aucun des Appels du CNU ni des communiqués de Hamâs, toutes les armes signalées comme pouvant être utilisées peuvent bien évidemment tuer. A aucun moment, pourtant, des ordres explicites ne sont donnés légitimant l'élimination physique de l'ennemi. Si HMS07 appelle à la "guerre à outrance" et à "infliger les pertes humaines (...) les plus lourdes" à l'ennemi, il faut attendre plus d'une année avant que le MRI se lance dans l'enlèvement de deux soldats israéliens, leur mort entraînant alors le démantèlement de son commandement et une vague d'arrestations sans précédent dans ses rangs. Les cas de mort d'Israéliens du fait du soulèvement, en 1988 (comme plus tard), ont été très rares : le bilan se monte à 3 soldats et 4 civils tués ([81]) ; dans aucun de ces cas ni Hamâs ni le CNU n'ont émis de revendication.

Les cibles du soulèvement : soldats et colons, collaborateurs.

Pour le CNU comme pour Hamâs, il ne fait pas de doute que l'ennemi c'est l'armée israélienne et les colons : "Nous ne faisons pas la différence entre le colon et le soldat : tous deux sont juifs, le colon d'aujourd'hui est le soldat de demain" affirme HMS05 tandis que les Appels du CNU désignent indistinctement soldats et colons comme cibles des pierres et des molotov (CNU09, CNU10A, CNU11, CNU12, CNU14, CNU17A, CNU17B, CNU18, CNU19, CNU21, CNU24, CNU25, CNU26, CNU27, CNU28B, CNU29C et CNU31). Si rien n'est dit des civils israéliens qui ne seraient pas des colons, c'est sans doute que la question de leur présence dans les Territoires occupés ne se pose quasiment plus : avec le soulèvement et ses violences, la population israélienne, déjà auparavant peu encline à se rendre en Cisjordanie et encore moins à Gaza, s'est massivement abstenue de franchir la ligne verte évitant même de se rendre dans la vieille ville de Jérusalem.

Les "collaborateurs" sont également l'ennemi contre lequel il faut se battre. A plusieurs reprises, Hamâs évoque leur cas et les présente comme des "hommes à l'esprit malade" (HMS09), des "psychologiquement défaitistes" (HMS13), des "sous-hommes" ou des "lâches" (HMS22A). Pour le MRI, ce sont ceux qui servent d'intermédiaires avec l'occupant pour l'achat des terres (HMS09) ou ceux qui diffusent les rumeurs, les faux communiqués et le défaitisme (HMS13, HMS24, HMS26) ; mais ce sont surtout ceux qui prônent "Camp David, la conférence internationale et toutes les initiatives capitulardes (HMS22A) qui relèvent de cette catégorie et Sadate en est l'exemple type (HMS32) ; à l'occasion, les partisans de l'OLP sont également qualifiés de "collaborateurs" (comme ceux de Hamâs l'ont été par le CNU lors des mêmes événements de septembre 1988 (HMS29, voir infra). Moins que les individus, l'accusation de collaboration, chez Hamâs, vise surtout les organisations et les régimes et, du coup, aucune consigne d'élimination physique individualisée, par exemple, n'est donnée dans les communiqués du MRI qui place ses dénonciations à un niveau idéologique. Hamâs, en revanche, appelle à combattre au jour le jour et à un niveau local tous les porteurs de vices (consommateurs ou fournisseurs de drogue ou d'alcool) comme en témoigne une affichette non datée trouvée à Naplouse ([82]).

La lutte contre les "collaborateurs" individualisés constitue un thème récurrent des Appels du CNU apparu dès CNU02 : "condamnés" (CNU16B) par le CNU, le peuple et les masses (CNU07, CNU10ABC, CNU11, CNU12, CNU14, CNU16AB et CNU17B), il convient de les "châtier" (CNU02, CNU04B et CNU16B), de "consumer" leur face (CNU04B), de les "boycotter" (CNU04B et CNU17B), de "régler leur compte" (CNU07 et CNU11), de "resserrer l'étreinte" autour d'eux (CNU10ABC), de les "piétiner" (CNU12), d'"intensifier le combat" contre eux (CNU14, CNU15, CNU16AB, CNU18, CNUPOL, CNU29A et CNU31), de leur "porter des coups" (CNU15, CNU17B et CNU18), de les "frapper d'une main de fer" (CNU16A), de les "traquer" (CNU23), d'en "faire le siège" et de les "mettre à l'écart" (CNU28B). Les groupes de choc et les forces actives (CNU15, CNU16AB, CNU17B et CNU18) (voir infra) sont appelées à "faire la chasse aux collaborateurs" (CNU25) dans la grande opération de "nettoyage du front intérieur de la souillure de ces individus qui ont vendu leur personne et leur honneur à l'occupation et ont trahi leur peuple et leur patrie" (CNU25 et CNU26) : il faut "liquider" (mais Al-Hadaf censure l'expression) les collaborateurs en poursuivant la "campagne d'épuration" (CNU26).

Les catégories de personnes concernées par l'étiquette de "collaboration" sont à l'évidence nombreuses mais pas toujours caractérisées : il s'agit de "tous ceux qui s'écartent du rang national" selon l'expression présente dans la majorité des Appels du CNU. Bien que jamais explicitement désignés, les membres des ex-Ligues de villages, officiellement dissoutes mais toujours plus ou moins en activité, et tous les Palestiniens connus pour être armés constituent, aux yeux de la population, avec tous les intermédiaires imposés par l'occupation pour l'obtention des divers permis (voyage, construction, etc.) les premières cibles à abattre. Dans les Appels, les collaborateurs désignés sont les commerçants qui n'observent pas les appels à la grève ou qui diffusent les produits israéliens concernés par le boycott, les membres des conseils municipaux, villageois ou de camps nommés (CNU14, CNU15, CNU16A et CNU18) ou de façon générale tous les non-démissionnaires des services du fisc, de la police, des douanes etc., (CNU15, CNU16A, et CNU18) et ceux qui diffusent les faux communiqués ou les rumeurs au service des objectifs de l'ennemi (CNU10ABC, CNU13, CNU22, CNU23 et CNU24). Les partisans de la Jordanie et de la "réaction arabe" seront, à plusieurs reprises, également inclus dans la liste des catégories accusées de collaboration de même que les partisans de Hamâs (CNU21, CNUPOL, et CNU26), témoignant ainsi d'une utilisation peu contrôlée de la dénonciation ; seules les diverses versions de CNU19, cependant, manifestent l'existence chez certains d'une réticence face au maniement trop facile de pareille accusation : si CNU19A, version Fath de Cisjordanie, dénonce des rencontres qui venaient de se tenir "entre le ministre sioniste de la guerre Rabin et certains collaborateurs qui s'écartent de la marche victorieuse de notre peuple et de sa volonté nationale" ([83]), CNU19B, version Fath de Gaza, maintient la dénonciation des entretiens mais supprime l'accusation de collaboration en désignant les partenaires palestiniens des rencontres avec Rabin simplement comme "certaines personnalités dans les Terres occupées".

CNU04B annonce la publication de listes nominatives de collaborateurs, en l'occurrence commerçants récalcitrants aux ordres de grève. Plusieurs tracts ont, en effet, publié des noms, communiqués la plupart du temps locaux ou sectoriels mais également parfois Appels nationaux : CNU08, par exemple, ordonne de "marginaliser les hommes de main de la Jordanie tels que Frayj [maire de Bethléem], al-Chawâ [maire nommé et destitué de Gaza] et autres ténors d'Amman et de la réaction arabe" et, dans cette ligne, plusieurs autres Appels dénoncent et invitent à combattre les éditeurs d'Al-Nahâr (voir supra) ; CNU15, un peu plus tard, appelle les "masses de choc" à "porter les coups les plus durs aux agents de l'appareil de la police et aux conseils municipaux et villageois nommés qui s'écartent de la volonté de notre peuple, avec, à leur tête, al-Zîr, al-Tawîl, Khalîl Mûsâ et Jamîl Sabrî Khalaf [maires d'Hébron, d'El-Bireh, de Ramallâh et de Jéricho]". CNU16A, quant à lui, appelle "au devoir de vigilance et de prudence à l'égard des faux communiqués diffusés par le dénommé Hammâda al-Richq, le collaborateur bien connu, aux ordres d'Itzhak Rabin". CNU16B, enfin, affirme la "nécessité d'une démission immédiate des directeurs travaillant dans l'administration civile de la Bande" et cite "au premier chef Khayrî Abû Ramadân du département de la santé et Muhammad al-Jiddî du département de l'enseignement". L'apparition dans les Appels du CNU de telles dénonciations sera ensuite mise à profit par les auteurs de faux communiqués qui n'hésiteront pas à désigner nominalement telle ou telle personnalité, l'accusant de détournements de fonds ou de contacts avec les services de renseignement.

Pour les non-démissionnaires, le retour dans le rang national est facile : il leur suffit de présenter leur démission. Les collaborateurs, au sens de soutien armé ou institutionnel de l'occupation, se voient quant à eux offrir la possibilité d'un repentir public dans les mosquées et les églises ou devant les comités populaires (CNU10ABC et CNU11) et c'est de cette question que traite Hamâs dans sa première mention des collaborateurs : HMS09, en effet, se félicitant du repentir de certains d'entre eux semble cependant craindre de trop faciles retournements et, dans une phrase sibylline, "met en garde sur le fait que leur place et leur fonction ont changé". Ces appels au repentir ont, en tous cas, été suivis d'effets sans qu'il soit possible de chiffrer le nombre des personnes concernées. En ce qui concerne le nombre de "collaborateurs" éliminés, B'TSELEM : 1989, l'évalue à 22 pour la première année du soulèvement. C'est à partir du printemps 1989 que le phénomène témoigne d'une accélération soudaine qui, alors, ne sera pas maîtrisée par les commandements centraux des diverses organisations de l'OLP.

Les instruments organisationnels de la violence : commandos et groupes de choc.

Les "groupes de choc", "brigades de choc" et autres "forces de choc".sont apparus antérieurement à la création du CNU ([84]), et ce sont les proches du Fath qui, dans un premier temps, feront appel à leurs services : seuls, en effet, CNU01 et CNU04B les invitent à monter diverses opérations contre l'ennemi, et ce n'est qu'avec CNU10 que les comités de choc seront intégrés à la stratégie du CNU. Tous les Appels les mentionneront ensuite à l'exception de CNU11, CNU13 et CNU17A tandis que, sur le terrain, ils acquerront un pouvoir grandissant. "Bras combattant du soulèvement" (CNU10A, CNU16A, CNU18, CNU20), les groupes de choc ont pour mission d'organiser les heurts avec l'armée et les colons (CNU12, CNU16A, CNU17B, CNU18, CNU20, CNU21, CNU22, CNU24, CNU26, CNU27, CNU28B, CNU28D et CNU29A) ; chargés d'imposer les consignes du CNU, ils sont également investis du pouvoir de châtier tous ceux qui tentent de "s'éloigner de l'appel de la patrie" (CNU10A, CNU16B, CNU17B, CNU28B, CNU30 et CNU31) dans la tâche de "nettoyage du front intérieur" (CNU25) : frapper les policiers et de façon générale tous ceux qui n'ont pas répondu aux appels à la démission (CNU15, CNU16A, CNU16B, CNU20 et CNU24) ou ceux qui continuent à proposer des produits israéliens ou à payer leurs taxes (CNU16B, CNU19, CNU21, CNU25 et CNU29C) mais également protéger les forces vives du soulèvement (CNU29C et CNU30). Le CNU, à l'occasion, appelle ces forces à se manifester en défilés "au pas cadencé" (CNU23, CNU25 et CNU27). Cette militarisation croissante des groupes de choc ne sera, cependant, pas accepté de tous, le débat se manifestant dans les réécritures de chaque groupe. Dans l'hypothèse où CNU25A (version Fath) est bien la matrice originelle, il faudrait donc considérer le FPLP, auteur/claviste de CNU25B, comme le premier défenseur de ce processus : là, en effet, où CNU25A et CNU25C (non identifié) parlent des groupes de choc comme des "noyaux des comités populaires", CNU25B considère qu'ils constituent "les noyaux de l'armée populaire" ; à l'Extérieur, les compositions politiques s'opèrent différemment puisqu'Al-Hadaf comme Filastîn al-Thawra s'aligne sur CNU25A tandis qu'Al-Hurriyya opte pour CNU25B. L'organe du FPLP manifeste un même désaccord avec ses partisans de l'Intérieur et ses partenaires de l'Extérieur en censurant le passage dans lequel CNU26, dans toutes ses versions, se félicite des défilés organisés par les groupes de choc "pour marquer la naissance de l'armée populaire" tandis que, là encore, Al-Hurriyya et Filastîn al-Thawra accepteront de parler d'armée populaire. A l'Extérieur, l'idée de créer (ou d'appuyer la création si l'initiative est venue de l'Intérieur) une armée populaire reviendrait aux proches des Forces 17 du Fath. Les premiers communiqués signés de cette "armée populaire palestinienne" sont émis à la fin de l'année 1988 et donnent lieu à un débat en CNU32 quant à savoir de qui elle doit recevoir ses ordres ; là encore, Al-Hadaf ignore ostensiblement une armée souvent mentionnée dans Filastîn al-Thawra (NIR : 1989).


[78]) Malgré le tragique de la situation, les Palestiniens ne manquent ni d'imagination ni d'humour dans leur lutte : les jeunes des "camps du milieu" (Nusayrât, etc.) ont ainsi inventé le cocktail kharatov ou bouteille à m... jetée depuis les terrasses.

[79]) Voir, par exemple, dans la "Chronologie du soulèvement" les 03/01 et 13/02.

[80]) Voir également 'Abd al-'Azîz 'Uda dans une interview publiée par Al-Wahda al-Islâmiyya, 29/04/88, et reproduite in Al-Islâm wa Filastîn, n°5, 05/06/88 : "L'étape présente ne permet pas l'utilisation des armes car le peuple est dans les camps et les rues".

[81]) Voir "Chronologie du soulèvement" les 20 mars, 30 octobre, 7 novembre et 13 décembre. Certaines statistiques israéliennes comptabilisent également un colon trouvé tué dans un champ en juin sans que le meurtre, semble-t-il, ait été élucidé. On ne peut évidemment pas retenir ici la jeune Israélienne tuée à Baytâ le 6 avril par le moniteur de son groupe.

[82]) "1- La déchéance morale mène à la déchéance dans le marécage de la collaboration et du renseignement et c'est pour cela que les autorités d'occupation ont encouragé et répandu le vice et l'immoralité avec l'alcool, le haschisch, les drogues et la prostitution... 2- Le Mouvement de la Résistance Islamique -"Hamâs" réaffirme sa détermination et sa résolution à poursuivre l'opération d'épuration de la ville de ces vermines qui continuent à pratiquer la vente d'alcool et distribuent les drogues et le haschisch, et de ceux qui distribuent les films pornographiques (...). 3- Le Mouvement de la Résistance Islamique qui a pris en charge la résistance aux occupants et à leurs collaborateurs distributeurs de drogues et d'alcool, ne fait pas en aucun cas la différence entre le musulman, le chrétien et le samaritain : en ce domaine, tous sont chez nous dans le même cas (...)".

[83]) Il s'agissait d'une série de rencontres avec des notables pro-jordaniens; ces "entretiens", dans bien des cas, sont le fruit de convocations.

[84]) Selon SCHIFF et YA'ARI : 1989, p.252, ces comités auraient été créés avant le soulèvement, le 17 septembre 1987 exactement, chargés à l'époque de lutter contre les collaborateurs.



Jean-François Legrain, Les voix du soulèvement palestinien 1987-1988, Le Caire, Centre d'Etudes et de Documentation Economique, Juridique et Sociale (CEDEJ), 1991
© CNRS, Jean-François Legrain pour l'édition électronique