Bibliographie de Jean-Francois Legrain
 


 

Les objectifs immédiats du soulèvement.

A plusieurs reprises, les Appels du CNU présentent de courtes listes de "mots d'ordres fondamentaux" et d'"objectifs immédiats" du soulèvement, "en préliminaire à l'obtention des droits nationaux légitimes" du peuple palestinien (CNU02, CNUGZ, 14PTS, CNU06A, CNU17B, CNU18, CNU20, CNU21, CNU26 et CNU27). Les revendications qui touchent directement à l'arrêt de la répression (interdiction donnée à l'armée de tirer sur le peuple désarmé et d'opérer des perquisitions, arrêt de la politique de couvre-feu, de siège des villages et des camps, de destruction des maisons, libération de tous les détenus du soulèvement et fermeture des centres de détention récemment créés, arrêt des bannissements et retour des bannis) peuvent se retrouver, disséminées, dans d'autres Appels ; les revendications qui relèvent du domaine de la mise en place de conditions politiques et juridiques qui empêcheraient le renouvellement des mesures répressives, en revanche, sont rarement mentionnées en dehors de ces listes et demandent toutes le respect scrupuleux de la 4e convention de Genève (CNUGZ, 14PTS, CNU17B, CNU18, CNU20, CNU25, CNU26 et CNU28A) ; c'est dans ce cadre que le CNU exige l'abrogation des lois d'urgence britanniques ([48]) (CNU02, 14PTS, CNU06A, CNU26 et CNU27) et de tous les décrets amendant la législation en vigueur en 1967 ([49]) (CNU02, CNU17B, CNU18 et CNU26) tout particulièrement dans le domaine fiscal (voir infra), l'arrêt de la colonisation (CNU02, 14PTS, CNU17B, CNU26 et CNU27) et le démantèlement des implantations existantes (CNU26 et CNU27), la cessation des opérations de profanation des Lieux-saints (CNU02, 14PTS, CNU06A, CNU16B, CNU17A, CNU17B, CNU18, CNU20, CNU21, CNU22 et CNU23) et de l'interventionnisme dans la vie des institutions palestiniennes. Le CNU exige également l'évacuation par l'armée des zones habitées (CNU02, CNUGZ, 14PTS, CNU06A, CNU07, CNU17B, CNU18, CNU20, CNU21, CNU26 et CNU27), en tant que première étape visant à permettre l'organisation d'élections démocratiques (CNU02, 14PTS, CNU06A, CNU18, CNU20, CNU26 et CNU31) sous supervision internationale entraînant la dissolution des divers conseils (municipaux, villageois et des camps) nommés. Insensiblement la demande de protection internationale passe d'une tâche de protection contre la répression à une demande politique de stade transitoire en préalable à la tenue de la conférence internationale (CNUGZ, CNU03A, CNU12, CNU17B, CNU18, CNU20, CNU21, CNU24, CNU25, CNU26, CNU27, CNU28A, CNU28B et CNU28D). Les "personnalités nationales", dans les 14PTS, ajoutent à ces demandes, dans la perspective d'une participation démocratique à la prise de décision palestinienne, la levée des restrictions imposées aux relations entre les Palestiniens de l'Intérieur et les instances de l'OLP à l'Extérieur.

La quasi totalité de ces revendications "immédiates", y compris les plus politiques, se trouvent donc à la fois dans CNU02 et dans les 14PTS : on se trouve ainsi en présence, en ce domaine, dès le début du soulèvement, d'une convergence de fait entre d'une part la ligne radicale du FDLP et d'autre part les notabilités proches du Fath et de la Jordanie. L'usure de ces notables, dès lors, n'en apparaît que plus forte, la conférence du National Palace n'ayant suscité aucune manifestation de soutien populaire à l'Intérieur mais, bien au contraire, un sentiment de commisération ou de colère pour des personnalités qui, dans un dernier sursaut, tenteraient de détourner l'énergie du soulèvement populaire pour retrouver une assise depuis longtemps défaillante. L'analyse du thème de la désobéissance civile montrera le même phénomène où des thèses, rejetées par la population lorsqu'elles étaient défendues par l'establishment, une fois récupérées par la structure clandestine à l'initiative parfois de certains de ces leaders susciteront l'enthousiasme général.

Des revendications "immédiates" existent également dans les communiqués de Hamâs. Rares, cependant, sont celles qui relèvent directement du domaine politique, seule la destruction d'Israël étant attendue par les Frères musulmans ; ces revendications, dès lors, sont avant tout d'ordre humanitaire et recoupent celles présentées par le CNU : "Libération des prisonniers et rejet de la colonisation, de la politique de bannissement et de détention administrative, des pratiques barbares à l'encontre de la population civile et des prisonniers, de la politique d'interdiction de voyager et des brimades, d'expansion de l'ignominie, de la corruption, de la subordination, de la chute dans les filets des services de renseignement, de l'interdiction du regroupement familial, de toutes les taxes écrasantes et des pratiques de l'occupation abominable sous toutes leurs formes". Chacune de ces revendications listées par le seul HMS03 se retrouvera ensuite réitérée par tel ou tel communiqué ultérieur.

Le statut du combat, la désignation de l'ennemi.

Ces objectifs immédiats ne sauraient, cependant, avoir de validité qu'en tant qu'étapes provisoires. Pour le CNU comme pour Hamâs, le soulèvement ne saurait, en effet, avoir pour terme que la fin de l'occupation mais, dans le même temps, tout les sépare : le statut du combat, ses objectifs ultimes et les moyens à mettre en oeuvre pour les mener à bien. Ainsi le MRI, contrairement au CNU, ne place pas son combat contre Israël à un niveau politique mais l'élève au rang de mission eschatologique : il s'agit de la lutte entre le Bien et le Mal, entre la Vérité et l'Erreur : "Notre bataille avec le sionisme n'est pas une bataille sur une délimitation de frontières ni même un différend sur un bout de terre ; c'est une bataille d'existence et de destin", affirme très clairement HMSCNP. La première phrase du premier communiqué du MRI témoignait déjà de ces dimensions : "Vous voici, aujourd'hui, au rendez-vous avec le décret de Dieu (...) qui s'applique aux Juifs et à leurs suppôts. Vous faites partie de ce décret qui extirpera les racines de leur entité à plus ou moins brève échéance avec la permission de Dieu". HMS08, HMS12, HMS16 et HMS21B évoquent eux aussi ce "décret" divin dont les termes sont donnés par Coran, 17, 4-8 : "les Juifs commettront de grands 'ravages' sur la terre" (HMS08 et HMS12 en dressent la liste) mais "plus forte est l'injustice juive, plus proches serons-nous de leur fin, ce jour où la force de Dieu se joindra à vous, force du ciel, des anges, des pierres et des arbres qui diront : "Musulman, un Juif se trouve derrière moi ; viens et tue-le". Plus forte est l'injustice, Juifs, plus forte sera la foi et le retour à Dieu, musulmans, jusqu'à ce que se réalise la promesse qui vous a été faite". Pour Hamâs, il est donc clair que le combat trouve son origine et sa fin dans l'ordre divin : "Dieu est son but, l'Apôtre son modèle, le Coran sa constitution, le jihad son chemin et la mort sur le chemin de Dieu la plus éminente de ses espérances", telle est la devise du MRI qui "s'est créé à un moment où l'islam avait disparu de la réalité de la vie : tous les critères de jugement avaient alors été déréglés, les concepts avaient été mis sens dessus dessous, les valeurs avaient été changées, les méchants avaient pris le pouvoir, l'injustice régnait ainsi que l'iniquité, les lâches faisaient les matamores, les patries avaient été usurpées, les peuples avaient été éparpillés errant sur la terre entière, l'Etat de la Vérité avait disparu et l'Etat du Mensonge avait été instauré ; rien ne demeurait à sa place. C'est ainsi : lorsque l'islam disparaît, tout est altéré. Tels sont les mobiles [de Hamâs]. Quant à ses objectifs : combattre le Mensonge, le défaire et le détruire pour que règne la Vérité, que les patries soient restituées, que l'appel à la prière annonçant l'établissement de l'Etat de l'islam soit lancé du haut de leurs mosquées, que les gens rentrent chez eux et que toute chose retrouve sa juste place" (PCT, art.9).

Cherchant ouvertement sa destruction, Hamâs ne montre pourtant aucune réticence à employer le terme "Israël" pour désigner son ennemi (HMS06, HMS09, HMS22A, HMS22B, HMS27, HMS28, HMSPCT, HMS30, HMS31 et HMS 32, soit 25 occurrences) ; des guillemets, cependant, sont mis la seule fois où il est question de "l'Etat d'Israël" (HMS32) ; quant à HMS16, il mentionne "l'ennemi sioniste " et "son soi-disant Etat". Hamâs emploie également l'expression "entité sioniste" (HMS02, HMS08, HMS14, HMS16, HMS24, HMS28, HMSCNP et HMS33, soit 9 occurrences) mais sa Charte en ignore l'usage tandis que HMSCNP parle de "l'Etat sioniste". Les "Israéliens" ne sont jamais désignés comme tels mais comme "les sionistes" (HMS01, HMS08, HMS26), ou "l'ennemi sioniste" (HMS04, HMS16, HMS23, HMS25, PCT art 36, HMS31 et HMS33). L'adjectif "sioniste" (68 occurrences dans tous les communiqués à l'exception de HMS03, HMS05, HMS09, HMS11, HMS15, HMS18, HMS22A, HMS27, HMS30 et HMS32), quant à lui, revient beaucoup plus souvent qu'"israélien" (HMS02, HMS03, HMS13, HMS18, PCT art.27, HMS31 et HMS32, soit 8 occurrences seulement). Mais la spécificité de Hamâs en la matière réside dans l'emploi du terme "juif" (22 occurrences de l'adjectif et 114 du substantif). Dans le cas de l'utilisation du substantif, s'agissant pour Hamâs d'une sorte d'essentialisation des personnes concernées, la majuscule est ici requise : HMS32, par exemple, considère que "le Juif, à quelque parti qu'il appartienne, demeure juif" et le même communiqué parle du "vrai visage du Juif". Pour HMS30, les Juifs sont ceux qui "ont tué les prophètes... ont massacré les innocents... ont emprisonné les craignant-Dieu" et HMS31 d'expliquer, en renvoyant aux Banû Nadîr du Coran, que "ce sont les descendants de l'imposture et de la ruse". Bien des communiqués de Hamâs décrivent ainsi la "nature", le "caractère", la "psychologie", le "vrai visage", les "vices" du Juif (tout particulièrement dans HMS08, HMS15, HMS17, HMS25 et HMS30) : pour HMS02, le Juif est un "lâche doté de pouvoir discrétionnaire", un "faible vindicatif" et un "fourbe haineux" ; la haine le définit (HMS02, HMS05, HMS08, HMS11 et HMS21B), comme l'iniquité (HMS01, HMS02, HMS05 et HMS33), l'arrogance (HMS01 et HMS10), la tyrannie (HMS02, HMS04, HMS08, HMS10, HMS14, HMS30 et HMS33), la tergiversation (HMS08), la cupidité (HMS08, HMS09 et HMS26) le mensonge et la manigance (HMS15), la vanité et l'orgueil (HMS22A et HMS28), ou encore la lâcheté (HMS03 et HMS25). Les Juifs sont des "marchands de guerre" (PCT art 32) et "aujourd'hui, ils incarnent le nazisme dans sa forme la plus hideuse : telle est la nature de leur être malade, de leur caractère malin et du fruit de leur ressentiment à l'encontre de ceux qui leur auraient fait du bien" (HMS25) ([50]).

L'eschatologie est, bien évidemment, absente des préoccupations du CNU pour qui le combat est la lutte politique de recouvrement des droits nationaux usurpés du peuple palestinien. Cette différence dans le statut du combat se manifeste avec éclat dans la désignation de l'ennemi. Même si le CNU a bien du mal à systématiser son maniement d'"israélien" et de "sioniste", jamais, en revanche, il n'emploie le terme "juif" sinon dans le cas très précis des forces de paix qui dialoguent avec les Palestiniens en Israël ou dans le monde : des éloges périodiques sont ainsi adressés aux "forces démocratiques juives" (CNU04C), aux "forces démocratiques et progressistes juives" (CNU10A), aux "forces de paix juives" (CNU21) ou encore aux "médecins juifs" qui rejettent "les mesures de l'occupation" (CNU23) ([51]). Deux occurrences seulement de l'adjectif interviennent dans d'autres contextes : CNU23 parle des "colonies juives" (Al-Hurriyya et Filastîn al-Thawra réécrivant en "colonies sionistes") tandis que CNU28D parle des "électeurs juifs" à l'occasion des élections de la Knesset. Le CNU, en tout cas, n'emploie jamais la forme substantivée du terme. L'expression la plus souvent employée par le CNU pour désigner Israël est "l'ennemi", au singulier et au pluriel, (147 occurrences si l'on ne retient qu'une seule version par texte original) ; viennent ensuite "les occupants" (49 occurrences du pluriel et 20 du singulier). Les Appels manient également les termes "Israël" et "entité sioniste", "israélien" et sioniste' sans faire preuve en la matière de la cohérence consensuelle observée sur le refus d'utiliser le terme "juif" mais sans qu'il possible, cependant, de dégager des appareillements politiques significatifs. La plupart des Appels, en effet, mêlent indistinctement les termes, seuls certains d'entre eux manifestant une préférence accentuée pour tel ou tel d'entre eux. L'emploi de l'expression "entité sioniste", par exemple, pourtant marqué par l'ancien refus du principe de toute reconnaissance, peut côtoyer l'adjectif "israélien" dans un même Appel (CNU06A, CNU11ABC, CNU12AB, CNU13AB, CNU17B, CNU22). L'emploi d'"Israël", en revanche, exclut dans la totalité des cas l'emploi conjoint d'"entité sioniste" à l'exception de CNU06A (une occurrence de chaque) et de FPCNP (une occurrence d'"entité sioniste" et 3 d'"Israël") mais n'interdit pas l'emploi conjoint de l'adjectif "sioniste" pour qualifier des réalités à l'évidence israéliennes (CNU04A, CNU04C, CNU06A, CNU08, CNU10B, CNU17A, CNU23, CNU26, CNU27, FPCNP, CNU30 et CNU31).

Quelques exceptions peuvent cependant être identifiées par un emploi raisonné et systématique de tel terme plutôt que de tel autre. Un premier groupe d'Appels ont opté pour le refus de désigner Israël par son nom. CNU14A et CNU14B, qui font immédiatement suite à l'assassinat d'Abou Jihad, utilisent l'expression "entité sioniste" à 4 reprises, soit autant que dans tous les communiqués antérieurs réunis, tout en multipliant par ailleurs l'emploi de l'adjectif "sioniste" (10 occurrences) et sans jamais qualifier quoi que ce soit d'"israélien" ; CNU15, avec 2 occurrences d'"entité sioniste" et 9 de l'adjectif "sioniste", et CNU16A, avec 2 occurrences d'"entité sioniste" et 8 de "sioniste", maintiennent ensuite cette même réticence à désigner Israël par son nom, une cohérence qui ne peut que renvoyer à un raidissement et à un retour à des habitudes de langage mises à mal dans les premiers Appels. Le FPLP, désireux de marquer sa spécificité face aux résolutions du CNP, fait preuve d'un même maniement systématique du vocabulaire dans sa version unilatérale de CNU29 : "entité sioniste" est employé à 3 reprises par CNU29C, "l'ennemi" à 14 reprises et "sioniste" qualifie 11 substantifs sans qu'à aucun moment il ne soit question d'"Israël", terme dont le FPLP ne s'interdit pourtant pas l'utilisation même s'il se refuse toujours à reconnaître la légitimité de l'Etat hébreu (FPCNP, par exemple, l'emploie à 3 reprises). A ces Appels, il convient d'ajouter ceux qui, sans employer l'expression "entité sioniste", n'utilisent cependant à aucun moment le substantif "Israël" ou ses dérivés (CNU04B, CNUABU, CNU15G, CNU16B, CNU18, CNU20ABC, CNUPOL et CNU29AB).

Les Appels mêlant la plupart du temps l'usage de "sioniste" et de d'"israélien", il devient hasardeux de vouloir tirer des conclusions politiques générales sur les préférences affichées pour tel ou tel terme ; en outre, dans le cas où plusieurs versions d'un même Appel ont été diffusées à l'Intérieur, à aucun moment n'apparaissent de réécritures systématiques du type "Israël" corrigé en "entité sioniste" ou inversement. Si l'on peut remarquer que la majorité des occurrences de l'expression "entité sioniste" interviennent dans des Appels soit propres au FPLP (CNU17B et CNU29C) soit rédigés dans la dactylographie habituelle du FPLP (CNU11C, CNU12A, CNU13A, CNU13B, CNU14A et CNU15B), tous les Appels de typographie propre au FPLP ne connaissent pas cet usage ; plus, CNU16B, version FPLP/FDLP de typo FPLP, l'ignore alors que CNU16A, version Fath et logiquement PCP, la connaît ; CNU11B, où là encore le PCP est censé être mêlé mais cette fois avec le FPLP, mentionne lui aussi l'"entité sioniste". D'autres Appels, enfin, dactylographiés par le FDLP (CNU06A, CNU11A, CNU12B?) et par le Fath (CNU14B, CNU15A et CNU22) utilisent également l'expression. Les 2 Appels postérieurs à la proclamation de l'Etat palestinien et à la reconnaissance officielle d'Israël témoignent encore, quant à eux, d'une certaine ambiguïté : s'ils ignorent bien l'expression "entité sioniste", ils préfèrent encore "l'ennemi" (une occurrence dans CNU30 et 3 dans CNU31) à "Israël" (une seule occurrence dans chaque) tandis que les produits et autres établissements sont indistinctement "sionistes" (7 et 3) et "israéliens" (9 et 9).

Une cohérence se manifeste, en revanche, dans les textes du corpus par les organisations membres du Commandement ou leurs proches sans appartenir à la série des Appels numérotés. Ainsi, l'usage exclusif du terme "Israël" et de ses dérivés paraît habituel aux personnalités de l'Intérieur proches du Fath et de la Jordanie : les auteurs des "14 points" se contentent de nommer "Israël" une seule fois mais et utilisent à 6 reprises le qualificatif "israélien" ; le "Document Husaynî" mentionne "Israël" à 10 reprises aux côtés de 5 occurrences de l'adjectif dérivé ; les auteurs de la lettre adressée aux Consuls généraux pour les éclairer sur le contenu des décisions du CNP mentionnent à 3 reprises tant "Israël" que son adjectif dérivé. Une même pratique peut être observée dans le communiqué du PCP, qui mentionne "Israël" une fois et utilise 5 fois l'adjectif, de même que dans celui du FDLP qui parle à 3 reprises d'"Israël" mais également une fois de "l'ennemi".

L'absence de cohérence dans le maniement du vocabulaire touchant à Israël se retrouve dans les versions publiées par les organes de l'Extérieur dont les réécritures en la matière n'obéissent à aucun schéma précis. Al-Sakhra, seul, manifeste une réticence appuyée quoique non systématique à l'emploi d'"Israël" et de ses dérivés : en CNU08, alors que la version de l'Intérieur écrit Israël avec des guillemets, cette publication du Fath à Koweït préfère écrire "l'ennemi", alors que l'organe officiel du même Fath publié à Nicosie supprime les guillemets de l'original ; en CNU10A et CNU11, le même Al-Sakhra maintient l'usage de l'adjectif "israélien" des originaux de l'Intérieur mais lui ajoute des guillemets. L'organe du FDLP, pour sa part, réécrit systématiquement l'adjectif "sioniste" en "israélien" dans sa version de CNU12, CNU18 et CNU21 ; à l'inverse, dans sa version de CNU28A, il réécrit 'produits israéliens' en 'produits sionistes' (mais l'organe du FDLP publie ici, par erreur ou par manipulation de l'une de ses tendances, un texte unilatéral du FPLP).

Les objectifs ultimes et les moyens de la lutte selon Hamâs.

Pour Hamâs, "le jour où les ennemis usurpent une terre qui appartient aux musulmans, le combat devient une obligation religieuse individuelle [fard 'ayn ] qui incombe à chaque musulman. Face à l'usurpation de la Palestine par les Juifs, il faut brandir l'étendard du jihad" (PCT, art.15) et HMSCNP lie la création de Hamâs à cet impératif : "le MRI est né et a mis au premier rang de ses préoccupations le jihad total jusqu'à la libération de toute la Palestine. Il a pris la décision de faire éclater le soulèvement le 8 décembre 1987 pour réaliser cet objectif". La Charte, dans son article 11, donne une justification qui se veut juridique et historique du droit de propriété islamique de la Palestine : "La Palestine est une terre islamique waqf pour toutes les générations de musulmans jusqu'au jour de la résurrection et qui donc pourrait prétendre jouir de la pleine délégation de pouvoir de toutes les générations islamiques jusqu'au jour de la résurrection? Tel est son statut selon la Loi islamique, statut identique à celui de toute terre conquise par les musulmans de vive force (...)". Ce thème de la Palestine "propriété de toutes les générations de musulmans jusqu'au jour de la résurrection" est ensuite repris par HMSCNP et par HMS33, sans la mention, cependant, de sa transformation en bien waqf. L'introduction de cette notion par la Charte est, en effet, surprenante car totalement contraire aux définitions canoniques, ses références citées étant également fausses : Hamâs fait ici une confusion totale entre la notion du dâr al-islâm, qui, en effet, implique qu'une terre conquise par les musulmans doive demeurer pour toujours "terre d'islam" et la notion de waqf, acte juridique obéissant à une loi très précise et applicable à une propriété définie ([52]).

Pour Hamâs qui situe son combat au niveau de l'eschatologie, "Israël, par sa judéité et ses Juifs, constitue un défi pour l'islam et les musulmans" (PCT, art.28) et il s'agit donc d'"extirper ce cancer qui mine la terre du voyage nocturne et de l'ascension du Prophète et menace l'ensemble du monde islamique" (HMS13, voir aussi HMS03). Les communiqués du MRI passent ainsi sans cesse de la libération de la Palestine à celui de l'anéantissement des Juifs. A plusieurs reprises, cependant, le MRI parle de "coexistence pacifique" mais dans une grande ambiguïté : si HMS04 se montre résolument hostile à cette idée, HMS24 semble plutôt considérer qu'elle aurait été la bienvenue mais que la violence israélienne l'avait tuée : "Qu'ils sachent, en toute netteté, que l'idée de coexistence entre notre peuple palestinien occupé et leur entité intruse est devenue une idée morte" ; HMS32 affirme dans la même ligne que la coexistence pacifique a été "ensevelie dans les sables de l'humiliation". Sans doute faut-il lire le terme de "coexistence" dans le sens préconisé par la Charte, art.6 et 31, celui de la coexistence des 3 religions "célestes" à l'ombre de l'islam, cet assujettissement, dont les clauses sont développées par la Charte, constituant la condition indispensable à la bonne entente entre religions.

Le "Non à la paix avec l'entité sioniste" de HMS08 renvoie à son exégèse de Coran 7, 167 : "Dieu, en ce qui les [ie les Juifs] concerne, n'a pas écrit de paix sur la terre" et place immédiatement Hamâs dans une logique qui n'a rien à voir avec celle des partisans de l'OLP, tous prêts à négocier même s'il s'agit pour certains d'une simple tactique provisoire. Le MRI se trouve, dès lors, dans une situation de dénonciations récurrentes de toute négociation. Pour le MRI, dès son premier communiqué, il ne fait aucun doute que le soulèvement "est survenu pour réveiller la conscience de ceux qui [courent] à bout de souffle derrière la paix malingre, derrière les conférences internationales creuses, derrière les traîtresses conciliations séparatistes dans la ligne de Camp David" et que les masses soulevées "ont la certitude que l'islam est la solution et l'alternative". HMS02 ne fait ensuite que confirmer que le soulèvement constitue "le réveil d'un peuple. Le peuple musulman venge sa dignité et renouvelle les gloires du passé, ce peuple qui refuse de concéder un seul pouce de sa patrie, qui refuse Camp David, qui refuse la conférence internationale et l'humiliante conciliation, qui refuse l'emprisonnement et le bannissement, qui refuse la capitulation, toutes les capitulations". Tous les communiqués postérieurs réitéreront ce rejet de toutes "les solutions capitulardes" et "complots de liquidation" parmi lesquels le MRI fait figurer "les traîtres accords de Camp David" (HMS03, HMS10, HMS22A, HMS22B et PCT art.32), "l'autonomie" (HMS03, HMS04 et HMS06) et la "conférence internationale" (HMS03, HMS04, HMS06, HMS07, HMS08, HMS10, HMS22A, HMS27 et HMS28), l'article 13 de la Charte offrant un condensé éclairant de sa position sous le titre "Les solutions de paix, les initiatives et les conférences internationales" : "Les initiatives, les prétendues solutions de paix et les conférences internationales préconisées pour régler la question palestinienne vont à l'encontre de la profession de foi du MRI. Renoncer à quelque partie de la Palestine que ce soit, c'est renoncer à une partie de la religion. Ainsi, le patriotisme du MRI fait-il partie de sa religion. C'est sur cette base que ses membres ont été éduqués et c'est pour déployer l'étendard de Dieu sur leur patrie qu'ils mènent le jihad (...). Que sont donc de telles conférences sinon l'une des formes de l'arbitrage des infidèles sur la terre des musulmans? (...)".

L'illégitimité de toute négociation comme de tout arbitrage des "infidèles" entraîne ipso facto la disqualification de l'ONU : "Il n'y a rien à tirer des résolutions des Nations-unies qui essaient de conférer la légitimité à l'entité sioniste sur toute part de la terre de Palestine. Les Nations-unies n'ont aucun droit à disposer de la terre de Palestine qui est la propriété de la nation islamique et non la propriété des Nations-unies", proclame en toute netteté HMS33. Pour Hamâs, ce parti-pris sioniste de l'ONU s'explique aisément : selon la Charte, art.22, ce sont en effet "les Juifs" qui sont à l'origine de sa création, comme ils avaient suscité la fondation de la Société des Nations, pour "à travers eux, gouverner le monde".

Dans sa logique de destruction d'Israël, Hamâs appelle l'OLP à un retour à son principe fondateur du recours à lutte armée comme moyen de régler la question palestinienne (HMSCNP et HMS32) et condamne, à l'avance, l'idée de création d'un gouvernement provisoire ou en exil qui ne pourrait que mettre fin à la confrontation armée (HMS28 et HMSCNP). Dans la même ligne, Hamâs demande aux "Etats arabes qui entourent Israël" d'"ouvrir leurs frontières aux combattants du jihad, fils des peuples arabes et islamiques, pour qu'ils puissent jouer leur rôle et joindre leurs efforts à ceux de leurs frères de l'Association des Frères musulmans en Palestine" (PCT, art.28). Si l'impératif de jihad, pour Hamâs, correspond bien à la lutte armée, peut-être couvre-t-il également la pratique du terrorisme : c'est, en tous cas, l'une des lectures possibles de HMS25 qui promet que, malgré toute la répression, "le peuple palestinien continuera à frapper les Juifs en tout endroit jusqu'à obtenir d'eux son droit".

Plus que la lutte armée, pourtant, le retour à la religion apparaît bien comme l'expression privilégiée du jihad ; la restitution des droits de Dieu et de l'islam ne constituent-ils pas, d'ailleurs, l'objectif ultime de la lutte contre "les Juifs"? Ainsi, lorsque HMS01 affirme que pour les "masses musulmanes" en Palestine, "l'islam est la solution et l'alternative" et lorsque HMS08 proclame qu'"il n'y a de salut et de libération que par l'islam", Hamâs met en évidence la continuité qui, à ses yeux, préside aux relations entre son engagement présent dans le soulèvement et ses positions antérieures sur l'impératif prioritaire de réislamisation comme condition préalable à la libération. Certains communiqués de Hamâs, d'ailleurs, suggèreraient que le changement de priorité n'est que tactique superficielle ; comment lire autrement la "conviction religieuse historique" de HMS08 lorsqu'il écrit : "cette terre bénie qui a été honorée par le voyage nocturne de Muhammad (...), qu'a conquise 'Umar et les Généreux Compagnons du Prophète par leur vertu et leur justice, qu'a libérée Salâh al-Dîn par l'islam, que des dirigeants inconscients ont abandonnée à travers l'histoire dans le mal de l'injustice et de la reculade (...) ne pourra être récupérée que par des mains pures et des âmes vertueuses"? Comment lire autrement HMS21A lorsqu'il considère que "la Palestine vaut cher et ne sera libérée que par le sang pur et innocent"? Hamâs ne se prive pas, d'ailleurs, d'émettre des communiqués quasi exclusivement religieux, tout particulièrement à l'occasion du Ramadan, appelant à une observation stricte du jeûne et de la prière, et à un retour des règles de la pudeur islamique (HMS11, HMS16 ou encore HMS21B) et son entrée dans l'arène de la lutte anti-israélienne ne l'a pas pour autant amené à rompre avec ses pratiques autoritaires de réislamisation : une affichette non datée placardée à Naplouse affirme ainsi la "détermination" de Hamâs à poursuivre l'opération d'épuration de la ville de ces vermines qui continuent à pratiquer la vente d'alcool et distribuent les drogues et le haschisch, et de ceux qui distribuent les films pornographiques (...)". La lutte contre la corruption est, de toute façon, pour Hamâs une lutte contre Israël puisque c'est ce dernier qui la dissémine pour affaiblir l'islam, seule force capable de résister à sa vilenie : "Depuis son usurpation de la Palestine, l'occupation israélienne a mobilisé toutes ses énergies pour travailler à stabiliser ses pieds sur notre terre sainte par le biais de la judaïsation de la terre, de l'homme et de l'identité des Palestiniens. La majeure partie de son plan est de travailler à susciter une jeune génération efféminée et engourdie, une jeune génération corrompue dans ses moeurs et sa religion. Tel est l'objectif de la judaïsation complète étudiée pour le peuple musulman sur la terre du voyage nocturne et de l'ascension du Prophète ... Et ce sur quoi l'occupation s'est concentrée, c'est la femme palestinienne musulmane... Elle a travaillé à diluer ses qualités par le biais de la diffusion de l'adultère, de la dépravation et autres pratiques avilissantes et abjectes des Juifs" avance HMS21B (voir aussi HMS02 et PCT, art.28).

Les objectifs ultimes et les moyens de la lutte selon le Commandement National.

Le slogan lancé par CNU01, "A bas l'occupation! Vive la Palestine libre et arabe!" comme CNU02 qui appelle à "la poursuite de la lutte sous toutes ses formes sous la bannière de l'OLP jusqu'à la réalisation des objectifs suprêmes de notre peuple, le retour, l'autodétermination et l'édification de notre Etat palestinien indépendant sous la direction de l'Organisation" ne laissent planer aucun doute sur l'issue recherchée du soulèvement : la fin de l'occupation. Rien n'est encore dit, en revanche, sur le choix entre la destruction ou la reconnaissance d'Israël. L'expression employée par CNU02 est une phrase quasi rituelle que l'on retrouvera à de multiples reprises dans les Appels du CNU ; si certains d'entre eux ne mentionnent pas le droit au retour (CNU04A, CNU04C, CNU06A, CNU08, CNU09, CNU12, CNU13, CNU16A, CNU17A et CNU24), il ne faut sans doute pas y voir la manifestation de l'abandon de l'une des revendications fondamentales de l'OLP, même si le FPLP manifeste son désaccord avec les décisions du CNP en donnant pour titre à son CNU29C unilatéral "Appel du retour" face à l'"Appel des noces de l'Etat palestinien" : bon nombre de ces Appels, en effet, ont eu soit le FPLP soit la tendance "dure" du FDLP pour auteurs/clavistes, aucun d'entre eux ne pouvant être suspecté de "brader" le droit au retour. Il est également difficile de penser que les auteurs de CNU14, CNU19 et CNU23, dans leur revendication d'un Etat indépendant, ont renoncé à la revendication que son édification devra se faire "sous la direction de l'OLP, représentant unique et légitime", revendication oubliée de la phrase rituelle. La mention "avec Jérusalem pour capitale" ajoutée à la revendication d'un Etat palestinien indépendant intervient à partir de la fin du mois de mai avec CNU17B (CNU22, CNU23, CNUPOL, CNU26, CNU28B, CNU28D, CNU30 et CNU31).

La tenue d'une conférence internationale comme moyen de résoudre la question palestinienne, avec 31 occurrences, est un thème important des Appels du CNU bien que tous n'y fassent pas référence (le thème est en effet absent de CNU01, CNU02, CNU03B, CNU04A, CNU04B, CNU05, CNU06, CNU07, CNU08, CNU09, CNU11, CNU13, CNU16, CNU17B, CNU19, CNU22, CNU28D, CNU29C et CNU30), amenant une précision importante sur la façon de mettre un terme à l'occupation. CCette conférence est toujours "internationale" et toujours (à l'exception de CNU17A) "souveraine", en réaction aux tentatives israéliennes visant à transformer la conférence en simple cérémonie d'inauguration de pourparlers qui ne sauraient être que bi-latéraux. Tous les Appels exigent la présence de l'OLP (ou de l'Etat de Palestine à partir de sa création en CNU31) en tant que partie indépendante (CNU03A, CNU10A, CNU10BC, CNU12, CNU14, CNU18, CNU25, CNU27 et CNU28A) et/ou sur un pied d'égalité avec les autres participants (CNU10A, CNU12, CNU17A, CNU18, CNU20, CNU21, CNU23, CNU24, CNU25, CNU27, CNU28A, CNU28B, CNU29A et CNU31). Cette précision est fondamentale et constitue l'une des manifestations les plus importantes de la volonté d'autonomie de l'Intérieur puisqu'à l'Extérieur l'idée d'une délégation jordano-palestinienne ou d'une délégation arabe commune est encore d'actualité ; Abou Jihad, reconnaîtra lui-même que c'est sous la pression de l'Intérieur que l'OLP a dû officiellement abandonner ces idées ([53]). Les Appels ne désignent pas toujours expressément les participants de cette conférence en dehors de l'OLP : certains précisent "avec les autres parties du conflit" (CNU24 et CNU31), d'autres "en présence de toutes les parties" (CNU12, CNU17A et CNU29A) ; d'autres, enfin, mentionnent les parties du conflit "en compagnie des 5 membres permanents du Conseil de sécurité" (CNU10A, CNU21, CNU28B et CNU29A) ; seuls CNU17A, CNU26, CNU29A et CNU31 sentent la nécessité de préciser que cette conférence se tiendrait "sous les auspices de l'ONU", caractéristique, à l'époque, évidente ([54]).

Les bases de convocation d'une telle conférence internationale donnent lieu à l'expression de toute la diversité des positions internes à l'OLP, diversité résumée dans les diverses versions de CNU29 bien qu'il s'agisse de rendre compte des décisions du CNP,  décisions écrites uniques logiquement soustraites aux interprétations politiques divergentes ([55]). CNU29A (version Fath et vraisemblablement PCP) considère ainsi que le CNP a demandé la convocation d'une conférence internationale "sur la base des résolutions 242 et 338 et du droit à l'autodétermination de notre peuple palestinien" ; c'est cette version qu'adopte, sans réécriture, Filastîn al-Thawra. Le lendemain de la publication de CNU29A, dans leur lettre adressée aux Consuls généraux, les personnalités de l'Intérieur proches du Fath et de la Jordanie considèrent, quant à elles, que les résolutions 242 et 338 constituent "le schéma directeur", qui guidera "les négociations pour un règlement définitif des frontières", et "l'un des éléments nécessaires sur lequel baser la convocation d'une conférence internationale". CNU29B (version FDLP), partout ailleurs en plein accord avec CNU29A, considère quant à lui que le CNP a adopté pour base de la convocation de la conférence internationale "l'ensemble des résolutions des Nations-unies relatives à la cause palestinienne dont les deux résolutions 242 et 338 qui garantissent le droit de notre peuple au retour, à l'autodétermination et à l'édification de l'Etat palestinien indépendant" ; la formule est réécrite à l'Extérieur par Al-Hurriyya pour qui le CNP a assigné pour base de convocation de la conférence internationale "les résolutions 242 et 338 et la garantie du respect des droits nationaux légitimes du peuple palestinien, dont en premier lieu son droit à l'autodétermination, en conformité avec les résolutions des Nations-unies particulières à la cause palestinienne". Face à ce consensus, dans la diversité, sur la reconnaissance des résolutions 242 et 338, le FPLP publie une version unilatérale de CNU29, un "Appel du retour" (CNU29C) qui, dès le titre et sans développement supplémentaire, marque sa différence avec l'"Appel des noces de l'Etat palestinien indépendant" (CNU29AB) : saluant la proclamation de l'Etat "prodigieuse motivation morale et matérielle qui poussera en avant le combat de notre peuple", CNU29C passe sous silence ses divergences avec la déclaration politique du CNP mais brise le consensus du calendrier de mobilisation en appelant à une grève le 29 novembre, journée internationale de solidarité avec la Palestine mais également anniversaire du plan de partage par l'ONU ; sans en faire officiellement la marque de son rejet des résolutions de l'ONU (contrairement à Hamâs qui fait grève aussi ce jour-là), le FPLP exprime ainsi sa différence avec ses partenaires du CNU qui, ayant accepté les décisions du CNP, n'ont plus jugé bon de sanctionner cet anniversaire par une grève. Les formules employées par les CNU29 renvoient à des Appels antérieurs : CNU15, par exemple, considérait que la convocation de la conférence devait se faire "sur la base des droits nationaux légitimes" du peuple palestinien tandis que CNU26 mentionnait "les résolutions [des Nations-unies] relatives à la cause palestinienne", et, sur le sujet, les positions les plus contradictoires ont été défendues par le CNU.

La résolution 181 de partage de la Palestine par l'ONU, avant de figurer dans le texte de la Déclaration d'indépendance ([56]), se trouve mentionnée dans le "Document Husaynî" (qui la date par erreur de 1948) en tant que base du tracé des frontières de l'Etat palestinien indépendant ; dans les Appels numérotés du CNU, elle n'apparaît qu'une seule fois, en CNU28B et CNU28C, versions unilatérales FDLP, sous deux formes différentes : tandis que CNU28B écrit "les masses du soulèvement sont convaincues que notre Conseil national prendra la décision de proclamer la création de l'Etat palestinien indépendant sur la base de la résolution des Nations-unies numéro 181 de l'année 1947, en tant que base juridique qui garantit notre droit à la création de notre Etat indépendant, et de promulguer un communiqué politique qui garantira les droits inaliénables de notre peuple au retour, à l'autodétermination et à l'Etat national indépendant sur notre sol national et avec Jérusalem pour capitale", CNU28C et Al-Hurriyya donnent pour base à la création de l'Etat "la légitimité internationale, qui comprend entre autres la résolution (...) 181". Plus tard, dans leur campagne d'explication des décisions prises par le CNP, les personnalités proches du courant central de l'OLP souligneront avec insistance que la proclamation de l'Etat palestinien, par la mention de la résolution 181, est "entièrement liée avec notre acceptation d'un Etat juif en Palestine".

Rarement citée, la résolution 181 n'est jamais explicitement rejetée par le CNU qui a pris l'acceptation ou le rejet de la résolution 242 (et accessoirement de la résolution 338) pour thème de son débat sur la reconnaissance d'Israël et l'identité nationale palestinienne. Le corpus des Appels, bien loin de manifester constance et consensus, témoigne bien au contraire des divergences radicales qui, depuis longtemps, opposent les organisations membres de l'OLP ou les courants internes aux organisations. L'expression de ces contradictions intervient dès CNU06 : tandis que CNU06A (rédigé à la veille de l'arrestation de Muhammad Labadî) fait figurer la reconnaissance de la résolution 242 comme l'une des "conditions capitulardes" que veulent dicter au peuple palestinien les Etats-unis, l'Egypte et la Jordanie, CNU06B et CNU06C, publiés deux jours plus tard, font disparaître sa mention de leur liste de condamnations ; à l'Extérieur, l'organe du FDLP suit CNU06A à la lettre et adopte ainsi la ligne "dure" du mouvement. Trois mois plus tard, la même position est affichée, cette fois par une démarche inverse : deux jours après CNU17A (suivi par Filastîn al-Thawra), silencieux sur les bases de la convocation d'une conférence internationale, CNU17B (version unilatérale FPLP/FDLP) réaffirme "le rejet par notre peuple de tous les projets suspects et tout particulièrement de Camp David, des résolutions 242 et 338, de l'initiative Shultz et du partage fonctionnel" ; là encore, le passage est intégralement reproduit à l'Extérieur par Al-Hurriyya comme par Al-Hadaf (qui ne publiait pas encore les Appels du CNU lors de l'émission de CNU06). Cinq jours avant la publication de sa version unilatérale de CNU29 dans laquelle il préfère ne pas faire étalage de ses divergences avec ses partenaires du CNU, le FPLP, enfin, émet un communiqué propre faisant connaître ses positions sur la reconnaissance de la validité de la résolution 242 par la déclaration politique du CNP, parlant de "défaillance politique" et de "danse de l'abandon". Tout en saluant la proclamation de l'Etat "qui ferme la voie à l'option jordano-travailliste et aux objectifs annexionnistes jordaniens", le FPLP met alors en garde contre un "relâchement" du soulèvement et des "concessions gratuites offertes par certaines parties palestiniennes" et lance un appel aux masses "seule force capable de redresser la situation de l'OLP". Résumant sa position, le FPLP "annonce aux masses qu'il est partie prenante à la déclaration de l'Etat et partie prenante au communiqué final qu'il a amélioré autant que possible. Quant aux paragraphes concernant la reconnaissance de la résolution 242 qui renferment une amputation des droits nationaux, le dédain à l'égard du droit historique et l'annulation de l'objectif de la libération et de l'édification de la Palestine démocratique (...) en tant qu'objectif stratégique (...), le FPLP s'y oppose et ne se considère pas lié par eux, pas plus que les masses qui, par leurs dispositions à la lutte et au sacrifice, passeront outre à certains commandements. Le FPLP demande la tenue d'une conférence internationale souveraine qui constituera la base politique de l'Etat, du retour et de l'autodétermination en tant que droit légitime de notre peuple, et à laquelle participera l'OLP dans une délégation indépendante : en dehors de cela, il n'est tenu par rien". Ayant manifesté son désaccord dans FPCNP et CNU29C, le FPLP retourne dans le giron du CNU, conformément à sa promesse de FPCNP : "Le Front Populaire restera fidèle à l'unité de l'OLP et c'est de l'intérieur qu'il combattra pour rectifier les politiques erronées". Le consensus dans la mobilisation aura alors pour prix l'absence de toute mention explicite des résolutions 242 et 338 dans une référence pourtant directe au CNP faite par CNU31 : l'Appel considère, en effet, que, dans son discours devant l'Assemblée générale des Nations-unies, Yasser Arafat a "réaffirmé les droits palestiniens et la paix palestinienne juste qui se réfère aux résolutions de la session du soulèvement et se fonde sur les résolutions internationales et les droits nationaux palestiniens, en tout premier lieu le droit au retour, à l'autodétermination et à l'incarnation de l'Etat de Palestine avec Jérusalem pour capitale" et CNU31 demande au secrétaire général des Nations-unies de "faciliter l'appel à la réunion du comité préparatoire à la conférence internationale avec la participation de l'OLP, sur la base des résolutions internationales relatives à la cause palestinienne et au conflit israélo-arabe".

La tenue d'une conférence internationale revendiquée par le CNU comme moyen de résoudre la question palestinienne ne semble pas entraîner l'abandon de l'option armée : à deux reprises, en effet, le Commandement demande l'ouverture des frontières arabes aux "opérations de fedayin". S'il s'agit au départ d'une demande exclusive du FPLP en CNU17B, sa revendication se trouve ensuite entérinée par les autres partenaires du Commandement (preuve supplémentaire du retrait du PCP), en prix, sans doute, de la réconciliation scellée par la publication de CNU18. Le FDLP fait, lui aussi dans une version unilatérale, une demande semblable, mais lorsque CNU28B demande au CNP "un soutien politique, militaire et matériel" au soulèvement, CNU28C et Al-Hurriyya transforment ce soutien en "matériel, politique et diplomatique". A aucun moment, les Appels ne font allusion à la montée d'opérations dirigées contre des cibles "juives" ou "sionistes" en dehors des Territoires occupés et les notables, dans leur campagne d'explication des résolutions du CNP soulignent avec force le renoncement de l'OLP au terrorisme.


[48]) Emises en 1945 par le Haut-commissaire britannique pour lutter contre les mouvements juifs clandestins, elles ont été remises en vigueur par les autorités militaires israéliennes et permettent, pour des raisons de sécurité et par simple décision administrative le bannissement, l'assignation à domicile, la clôture de certaines zones, la démolition de maisons, l'instauration du couvre-feu, etc.

[49]) Un peu plus de 1200.

[50]) Les "Juifs" ou leurs pratiques se voient traités de "nazis" à de très nombreuses reprises par Hamâs (HMS01, HMS03, HMS04, HMS06, HMS10, HMS12, HMS15, HMS25, HMS26, PCT et HMS29). Le CNU fait lui aussi un usage intensif du terme pour qualifier les Israéliens et leurs pratiques (CNU04B, CNU09, CNU10A, CNU12, CNUABU, CNU14, CNU16A, CNU16B, CNU17B, CNU18, CNU21, CNU28A et CNU28B), ou encore leurs prisons (CNU12, CNU16A, CNU17B, CNU19, CNU20 et CNU24 pour qui Ansâr est Auschwitz); le CNU l'applique également aux Etats-unis (CNU04B et CNU10A).

[51]) Des hommages sont également rendus aux "forces progressistes en Israël" (CNU10B, CNU10C), aux "forces démocratiques israéliennes" (CNU31) ou au "camp de la paix israélien" (CNU31).

[52]) Ibn Hanbal, par exemple, rapporte qu'au temps des Umayyades, la Syrie, et donc la Palestine, était considérée comme ard al-hijra, "terre d'asile"; gagnée par le combat et protégée, cette terre appartenait ainsi à une catégorie proche de celle du dâr al-islâm ; arrachée au dâr al-harb, au "domaine de la guerre", son entrée dans le "domaine de l'islam" était marquée par son attribution en concessions (iqtâ '). Le waqf, quant à lui, est un acte juridique par lequel le possesseur d'un bien renonce à ses droits de disposition de l'objet; le donataire n'en a ensuite qu'un usage restreint, le bien ne pouvant désormais être ni vendu, ni donné, ni partagé, ni transmis par héritage; quant au fruit de ce bien, il est, également à perpétuité, utilisé en aumône (DECOBERT : 1991, p.19-22, 265 sv, 280 sv).

[53]) Washington Post, 01/05/88.

[54]) L'idée de la tenue d'une conférence "régionale" sous la direction des seuls Etats-unis et Union soviétique n'apparaîtra qu'au printemps 1991 avec les navettes de James Baker.

[55]) La déclaration politique du CNP écrit : "La conférence internationale se tiendra sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité et sur la garantie des droits nationaux légitimes du peuple palestinien, en particulier son droit à l'autodétermination (...) et sur la base des résolutions des Nations-unies relatives à la question palestinienne" (Version publiée par La Revue d'Etudes Palestiniennes, n°30, hiver 1989).

[56]) La déclaration d'indépendance écrit : "En dépit de l'injustice historique imposée au peuple arabe palestinien, qui a abouti à sa dispersion et l'a privé de son droit à l'autodétermination au lendemain de la résolution 181 (1947) de l'Assemblée générale des Nations-unies recommandant le partage de la Palestine en deux Etats, l'un arabe et l'autre juif, il n'en demeure pas moins que c'est cette résolution qui assure, aujourd'hui encore, les conditions de légitimité internationale qui garantissent également le droit du peuple arabe palestinien à la souveraineté et à l'indépendance". La proclamation elle-même est faite "en vertu de la primauté du droit et de la légalité internationale incarnées par les résolutions de l'Organisation des Nations-unies depuis 1947" (version publiée par REP, ibid.).



Jean-François Legrain, Les voix du soulèvement palestinien 1987-1988, Le Caire, Centre d'Etudes et de Documentation Economique, Juridique et Sociale (CEDEJ), 1991
© CNRS, Jean-François Legrain pour l'édition électronique