Bibliographie de Jean-Francois Legrain
 


 

Les Palestines du quotidien. Les élections de l'autonomie, janvier 1996

Jean-François Legrain

Introduction

Ces 30 dernières années, toute une littérature a été produite à propos du "conflit israélo-arabe" et de "la question palestinienne", à la surabondance néanmoins très inégalement répartie selon les sujets traités. Dans le dossier strictement palestinien, par exemple, la plupart des auteurs n'ont prêté attention qu'aux seuls aspects militaires et diplomatico-politiques. Ils ont ainsi été amenés à ne traiter le plus souvent que de l'OLP ([1]), réduite à sa structure de l'Extérieur (d'Amman, Beyrouth puis Tunis), elle-même perçue qu'à travers son discours diplomatique et sa pratique de la violence. Se sont ainsi trouvées exclues du champ des études les pratiques sociales de l'Extérieur vis à vis tant de l'Intérieur (les territoires occupés en 1967) que de sa propre base populaire à l'Extérieur constituée des camps du Liban, de Syrie et de Jordanie ; figés en hypostase de la lutte, pour la glorification ou l'exécration, ces derniers échappaient ainsi la plupart du temps à l'investigation scientifique. Les dynamiques de fonctionnement des élites palestiniennes sous occupation n'ont elles aussi été qu'assez peu analysées ([2]), la majorité des études consacrées à la Cisjordanie et à la bande de Gaza ayant porté en priorité sur les aspects humanitaires et sur les formes de résistance. Les investigations touchant aux relations entretenues entre l'Intérieur et l'Extérieur ont été quant à elles quasi inexistantes, ce non-dit consensuel pouvant par ailleurs servir des intérêts politiques contradictoires : pour l'OLP et ses partisans, l'unicité de représentation du peuple palestinien impliquait de taire les éventuelles divergences ; pour ses ennemis, le "terrorisme" dépassait les frontières et englobait Intérieur et Extérieur dans un même ensemble indistinct.

Aujourd'hui, la nouvelle doxa que constitue l'apologie obstinée des Accords d'Oslo se traduit dans la quasi totalité de la littérature produite par une véritable téléologie. Les luttes palestiniennes des dernières décennies constitueraient en effet une histoire appelée à déboucher de façon mécanique un jour plus ou moins proche sur un Etat démocratique dont les partis politiques formeraient la base et dont la culture politique, copiée sur celle de l'Occident, serait déjà à l'oeuvre ([3]). Pareille "avancée" aurait elle-même été permise par l'achèvement de la construction nationale palestinienne dans le cadre de l'acceptation du partage de territoires avec Israël. Les seuls obstacles à cet accomplissement seraient essentiellement externes, le principal étant le refus israélien de la reconnaissance du droit palestinien à l'autodétermination et à l'édification de l'Etat. Au niveau interne, seul l'autoritarisme de Yasser Arafat est périodiquement mis en cause, mais toujours sous le mode de la simple "dérive". La construction d'une identité nationale sous l'égide du mouvement de libération nationale aurait ainsi débouché sur des formes de mobilisation politique qualifiées de "modernes" car idéologiques et éloignées des appartenances claniques et confessionnelles. Au notable traditionnel prisonnier de son clan se serait substitué au centre de la vie politique le militant "conscientisé" tout entier dévoué à l'accomplissement d'une cause. L'Autorité palestinienne serait dès lors le prélude à l'Etat indépendant, chargée d'assurer la transition des organisations de guérilla membres du mouvement de libération nationale en partis, tandis que le Conseil d'autonomie préfigurerait dès aujourd'hui cette démocratie de partis assurément appelée à se développer.

L'élection, le 20 janvier 1996, du président de l'Autorité et des membres du Conseil en charge de l'autonomie palestinienne durant les 5 années intérimaires prévues par les Accords d'Oslo a constitué le dernier élément clé de cette historiographie. L'exploitation des données détaillées du scrutin, coeur de cet ouvrage, visera donc à vérifier sa pertinence : évaluer le degré de réussite, sur le chemin de la construction de l'identité nationale et de l'Etat, de la trentaine d'années de lutte armée, diplomatique, politique et sociale animée par l'OLP. En d'autres termes, dans un contexte de dispersion et d'occupation militaire, les Palestiniens sont-ils parvenus à faire réellement aujourd'hui de la Palestine le fondement même de leur nation naissante au prix de la marginalisation irrémédiable d'autres niveaux plus anciens de leur identité ?


[1]) L'ensemble des sigles et abréviations utilisés dans cet ouvrage sont explicités en fin de volume.

[2])rynen, 1995-1, en a récemment dressé un bilan dans une intéressante typologie.

[3])"[Les trois prochaines années verront] l'improvisation remplacée par des plates-formes politiques structurées. L'idéologie cédera la place à des politiques concrètes qui serviront de base aux programmes respectifs", selon Jarbawi, 1996-2. Relire également les conclusions des divers observateurs internationaux de l'élection de 1996 dont celles du Conseil de l'Europe, 1996 : 7, citées infra.



Jean-François Legrain, Les Palestines du quotidien. Les élections de l'autonomie, janvier 1996, Beyrouth, Centre d'Etudes et de Recherches sur le Moyen-Orient Contemporain (CERMOC), 1999
© CNRS, Jean-François Legrain pour l'édition électronique  




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