Bibliographie de Jean-Francois Legrain
 


 

Les islamistes, l'autre front d'Arafat

Le Hamas et le Jihad islamique attisent les divisions palestiniennes.


Par CHRISTOPHE AYAD

Entre Yasser Arafat et les islamistes palestiniens, la confrontation a déjà commencé et nul n’est capable de dire à l’avantage de qui elle tournera. Mais plus Israël interviendra violemment dans les territoires, moins le président palestinien aura à combattre son propre camp.

Quelle est la popularité des islamistes?

«Il n’existe aucun instrument d’analyse fiable de la popularité des différents courants politiques palestiniens», affirme Jean-François Legrain, chercheur au CNRS et l’un des meilleurs connaisseurs de la mouvance islamiste palestinienne. Mais des élections ponctuelles, dans les universités ou les ordres professionnels, donnent une idée: il y a trois semaines, le Hamas a ainsi écrasé le Fatah de Yasser Arafat dans des élections étudiantes à l’université de Naplouse. «Le Hamas, qui peut se targuer d’avoir toujours été opposé au processus d’Oslo, a bien évidemment bénéficié de l’Intifada», ajoute Legrain.

L’Intifada n’a pas forcément valu au Fatah de Yasser Arafat un regain de popularité. Depuis novembre 2000, non seulement l’Intifada n’est plus prise en charge par le peuple mais elle devient carrément impopulaire quand le harcèlement des francs-tireurs du Fatah attire des représailles qui touchent les civils. «Les actions spectaculaires comme celle du week-end dernier sont plus populaires auprès de l’opinion palestinienne, observe Jean-François Legrain. Elles lui donnent, ponctuellement, le sentiment que les Israéliens souffrent comme eux souffrent au jour le jour.» Quant au Jihad islamique, c’est une structure secrète qui ne recherche pas la popularité.

Que peut Yasser Arafat?

Depuis dimanche, l’Autorité palestinienne a fait arrêter 77 islamistes en Cisjorsdanie et 35 à Gaza. Deux hauts responsables du Hamas, dans la bande de Gaza, ont été mis au secret: des personnes publiques, faciles à localiser. «Il lui sera difficile de faire plus», prévoit Jean-François Legrain. «Même à l’époque où la coopération sécuritaire fonctionnait avec les Israéliens, les arrestations n’étaient pas nombreuses. Arafat n’a probablement pas les moyens d’arrêter ceux qui ont préparé les attentats. Les Etats-Unis ont-ils démantelé les réseaux qui ont préparé les attentats du 11 septembre?» Autre difficulté, le Hamas est un mouvement protéiforme, qui fait du social et du paramilitaire, qui mêle allégrement religion et nationalisme. Au sommet, un chef, charismatique et intouchable, le cheikh Yassine, fait la synthèse entre des courants et instances diverses, voire adverses. La direction politique est divisée entre «autochtones» et «exilés», ces derniers se montrant moins enclins au compromis et à la négociation du fait même de leur éloignement. La branche militaire, Ezzedine Al-Qassem, jouit d’une relative autonomie. Il lui arrive d’aller à l’encontre de la direction politique. Mais, sous des apparences jusqu’au-boutistes, Ezzedine Al-Qassem est capable de respecter des consignes politiques: depuis le 11septembre, la branche armée n’avait pas commis d’attentat-suicide sur le sol israélien, par accord tacite avec Arafat.

La confrontation est-elle inévitable?

A deux reprises déjà, l’Autorité palestinienne et les mouvements islamistes se sont affrontés les armes à la main: en 1994, lors d’une manifestation organisée par le Hamas à la sortie de la prière et, en octobre, à l’occasion de manifestations contre les bombardements américains en Afghanistan. A chaque fois, c’est l’Autorité qui a «appuyé sur la gâchette». Les islamistes, qui avaient les moyens de riposter, ne l’ont pas fait, au nom de l’unité des musulmans et des Palestiniens. Tant qu’il ne sera pas poussé dans ces derniers retranchements, le Hamas fera probablement tout pour éviter une confrontation armée. Tout en annonçant une riposte aux raids israéliens d’hier, Moussa Abou Marzouk, vice-président du bureau politique du Hamas, a appelé Arafat au dialogue depuis Damas. En revanche, le Hamas ne devrait pas renoncer à sa promesse de tuer 100 Israéliens pour venger Mahmou Abou Hannoud, son responsable assassiné par l’armée israélienne. Le Jihad islamique pourrait réagir plus violemment: les gardes de Mohamed Al-Hindi, un cadre du mouvement, ont tiré dimanche sur les policiers palestiniens venus l’arrêter.

Arafat peut-il compter sur une fidélité totale de ses troupes?

Les passerelles, familiales et régionales, sont nombreuses entre le Fatah et les mouvements islamistes. Elles se sont renforcées au sein des comités de coordination mis sur pied après le début de l’Intifada. Le 27 novembre dernier, les Brigades des martyres d’Al-Aqsa, l’une des milices armées du Fatah, a même revendiqué une opération commune avec le Jihad islamique à Afoula dans le nord d’Israël. Ces brigades, qui ne respectent pas le cessez-le-feu décrété par Arafat, «ont une conception élastique de la loyauté», estime Jean-François Legrain. «Ce sont des gens du Fatah qui soutiennent Arafat mais n’hésitent pas à le critiquer, voire à le désapprouver.» En cas de conflit cependant, ils devraient rentrer au bercail.


Ce texte a été publié dans Libération, 4 décembre 2001 (www.liberation.fr/israel/actu/20011204mard2.html).