Bibliographie de Jean-Francois Legrain
 


 

 

Palestine à l'ONU : quels risques, quels bénéfices ?

Par Catherine Gouëset

La reconnaissance du statut d'Etat observateur à l'ONU pour les Palestiniens est une victoire symbolique. Mais quels seront les bénéfices concrets et les risques apportés par ce changement ? Passage en revue. 

Le projet d'admission de la Palestine comme "Etat observateur" soumis ce jeudi à l'Assemblée générale, a aisément recueilli la majorité simple requise, avec 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions. Le chef de l'Autorité palestinienne avait choisi de présenter cette demande devant l'Assemblée générale de l'ONU après l'échec, l'automne dernier, d'une précédente initiative pour la reconnaissance d'un Etat membre à part entière devant le Conseil de Sécurité. Mais quels changements réels vont sortir de ce processus pour les Palestiniens ? Les bénéfices et les risques ne sont pas forcément là où on les attend. 

Ramener la cause palestinienne sur le devant de la scène

Les printemps arabes et l'absence de toute avancée des négociations de paix entre Israël et les Palestiniens, alors que la colonisation ne cesse de s'étendre en Cisjordanie, ont fait sortir la question palestinienne des écrans radars de la communauté internationale.

Le vote de l'Assemblée générale en faveur de la Palestine peut être un moyen d'y remédier. Il "marquera la volonté de la communauté des nations de reprendre la main et de ne pas laisser l'occupant et l'occupé dans un face à face déséquilibré et destructeur", plaide l'Association France-Palestine

... Mais ce vote, "en l'absence de souveraineté sur le terrain et de règlement préalable de la question des réfugiés, n'est pour les diplomaties européennes qu'un cache sexe avec lequel elles comptent masquer leur renoncement prolongé à mettre en œuvre les droits nationaux palestiniens qu'elles ont pourtant formellement reconnus", regrette Jean-François Legrain, spécialiste de la question palestinienne, qui rappelle qu'un récent rapport de la FIDH a fait le constat que l'Union européenne importe quinze fois plus de marchandises provenant des colonies israéliennes -illégales au regard du droit international- que des Territoires palestiniens. 

Replacer le droit international au centre des discussions

Lors de l'adoption du plan de partage de la Palestine en 1947, il était prévu que soient proclamés deux Etats. Un Etat juif et un Etat arabe. Le second n'a jamais vu le jour. Aller devant les Nations unies, permettrait à la Palestine de postuler aux différentes agences de l'ONU comme l'Organisation mondiale de la santé et le Programme alimentaire mondial. La Palestine pourrait en théorie intégrer la Cour pénale internationale et déposer plainte contre des dirigeants israéliens.

... Pourtant, par le passé, les différents gouvernements israéliens ont fait peu de cas des décisions des instances internationales. Ainsi, sans compter les résolutions de l'ONU restées lettre morte, la condamnation du mur de séparation construit en territoire palestinien par la Cour internationale de justice en 2004 est restée sans effet. 

Renforcer le Fatah de Mahmoud Abbas, très affaibli

L'Autorité palestinienne, qui avait parié sur la négociation, souffre d'un discrédit terrible, comme l'a montré le très faible taux de participation aux dernières législatives de Cisjordanie en octobre, et l'élection de dissidents du Fatah dans plusieurs villes. L'intervention militaire israélienne à Gaza l'a encore plus marginalisé au profit d'un Hamas sorti, lui, renforcé de l'épreuve. L'admission de la Palestine à l'ONU serait donc un moyen de sauver quelque peu la face de Mahmoud Abbas.

... Mais "alors qu'il y a un an, la démarche du dirigeant palestinien avait créé un certain enthousiasme au sein de la population palestinienne, il y a cette année beaucoup de scepticisme", observe Alain Gresh, spécialiste du Proche-Orient, auteur du blog Nouvelles d'Orient

Profiter de la dynamique enclenchée par le cessez-le-feu à Gaza

Le renforcement de la stature du Hamas après l'opération "Pilier de défense" est peut-être ce qui explique le changement d'attitude du mouvement islamiste, dont le chef en exil Khaled Mechaal a annoncé lundi le soutien à la démarche de Mahmoud Abbas. "Cette position est une surprise pour tous, observateurs comme acteurs. Jusqu'à présent, le mouvement avait manifesté un simple dédain pour ce qu'il prenait pour l'énième tentative de survie d'un Fatah aux abois", relève Jean-François Legrain, qui ajoute qu'on peut y voir en revanche un effet de la diplomatie égyptienne, 10 jours après l'intervention israélienne à Gaza.

... "Le soutien de Mechaal à la démarche de Mahmoud Abbas serait ainsi une contribution, peu coûteuse pour le Hamas, à une réconciliation avec le Fatah relancée par une Egypte revenue en position de force" dans l'arène régionale, complète le chercheur.  

Le risque pour les Palestiniens de la diaspora

Un Etat de Palestine reconnu sur les territoires occupés en 1967 (bande de Gaza et Cisjordanie dont Jérusalem-Est) laisserait de côté les 5 millions de Palestiniens réfugiés en Jordanie, au Liban, et en Syrie, qui ne seraient plus représentée par ce nouvel État de Palestine, alors qu'ils le sont aujourd'hui par l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Dans la configuration actuelle, leur droit au retour reste à régler dans le cadre d'une négociation. "L'absence de règlement préalable de la question des réfugiés" fait que la démarche à l'ONU "est porteuse de risque tant pour la mise en œuvre des droits nationaux palestiniens que pour la représentation internationale de l'ensemble du peuple palestinien", constate Jean-François Legrain. 

Le risque de représailles de la part des Etats-Unis et d'Israël

Les Etats-Unis et Israël, farouchement hostiles à la démarche palestinienne, ont menacé les Palestiniens de mesures de rétorsion. Les deux pays menacent de suspendre tout financement d'une organisation internationale qui reconnaitrait la Palestine comme Etat, comme ils l'ont fait il y a un an avec l'Unesco quand cette agence à admis la Palestine en son sein. Tel Aviv a menacé d'abroger les accords d'Oslo, d'accélérer la colonisation et de confisquer les droits de douane palestiniens. Un document d'orientation politique du ministère israélien des Affaires étrangères a même envisagé de renverser Mahmoud Abbas

... Mais, ces mesures punitives ont déjà été infligées aux Palestiniens à de nombreuses reprises. Et le gouvernement Netanyahu prendrait-il le risque de se retrouver à gérer le sort des 2, 5 millions de Palestiniens de Cisjordanie alors que pour le moment, l'Autorité palestinienne sous-traite cette administration, et se charge même de maintenir la sécurité ? Quant au cadre des accords d'Oslo, il est devenu une coquille vide, faute de la moindre avancée dans les négociations. La poursuite de la colonisation qui a fait de la Cisjordanie une peau de chagrin -Plus de 42 % des terres cisjordaniennes ont été confisquées-, rend déjà quasiment impossible une solution à deux Etats. 

 


Ce texte est paru sur lexpress.fr (http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/palestine-a-l-onu-quels-risques-quels-benefices_1192876.html), 29 novembre 2012.